06/01/2012

"Doit-on apprendre à devenir soi-même ?"

En pensant à Angélique, Tom, Nathanaël, Jérôme, Irina, Louise
et les autres...


Sujet de dissertation de philosophie qui est venu se poser récemment au croisement de divers épisodes de vie, dont un d'écriture.
Peu importe. Il se trouve simplement que cette question m'intéresse. Que j'ai envie d'aller y flâner de façon sans doute un peu bordélique, en me trompant peut-être de route, en repassant par le même chemin, sans désir en tous les cas de faire le tour de la question.

Alors poser d'autres questions :

* M'a-t-on appris à être moi-même ?
* Etre soi-même relève-t-il de l'apprentissage ?
* Si quelqu'un m'apprend, qui est-il ? Quel est son statut ? Quel rapport ai-je à cette personne ? Est-elle seule ? Est-ce un groupe ? Dois-je l'attendre ? Ne dois-je pas l'attendre ? Comme l'on dit l'élève peut-il dépasser le maître ? S'il y a maître, y a-t-il esclave ?
* Devient-on qui l'on est ?
* Devenir soi-même n'est-il pas un leurre pour les inconsolables que nous sommes ?
* Doit-on ? Faut-il ?
* Peut-on être l'autodidacte de soi-même ?
* Si je suis dans la position de celui qui doit apprendre, qu'est-ce qui dans mon expérience m'autorise à estimer ce que l'autre doit devenir ?

... Et là la liste s'arrête, le spectre de la projection parentale se profile, un peu moqueur, tant il est difficile d'en rester à la simple position de la méthodologie et non du contenu, d'en rester à cette position du "maître ignorant" ce que l'autre peut devenir. Autrement dit comment permettre à un enfant d'avancer, de se construire sans lui assigner une identité nourrie des avatars, des peurs, des certitudes qui constituent celle que le parent croit être la sienne. Parce qu'il est difficile de ne pas trop dire ou trop penser : "je sais ce qui est bien pour toi" ; "je sais ce que tu vaux, ce que tu devrais valoir". Sans oublier le "je te connais" (sous entendu "mieux que toi-même") qui ne renvoie à l'enfant qu'une impression de transparence aux autres, d'opacité à lui-même, comme ce roi du conte qui se ballade à poil croyant être en habits. Et pour être plus cru, je pourrais renvoyer au film Alien !

L'expérience du parent, oui, sans doute, donne du recul mais elle peut lui faire oublier la façon dont il a vécu cet apprentissage au même âge. La difficulté pour lui est d'avoir cette pensée de derrière qui ne doit pas le déconnecter de ce que vit l'enfant. Le parent doit essayer de marcher à côté, seulement à côté, position qui finalement peut être la meilleure pour veiller aux valeurs, aux risques, pour partager l'expérience, pour suggérer qu'à prendre tel embranchement, l'ombre que l'enfant portera sur le chemin sera sans doute plus belle... Ainsi, si le parent accepte l'idée du devenir, de la construction, il ne faut surtout pas nier l'altérité qui existe, réside, subsiste en l'enfant. Ne pas dire à l'enfant que l'on sait qui il est, qui il doit être, ce qu'il devra être dans un, deux, trois ou dix ans, c'est reconnaître en lui cet autre essentiel qui le fera avancer, avec lequel il devra batailler ; c'est admettre cet autre dont il faut respecter la distance qu'il installe avec le parent (distance qui peut jouer avec la limite du respect, de l'invective, des propos injustes, de la mauvaise foi...). Il ne faut pas priver l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte (n'ai-je pas entendu récemment que l'âge moyen auquel on perd ses parents s'approche des 60 ans) de cette altérité en y projetant des angoisses qui ne regardent que le parent et sa propre altérité qui n'est pas celle de son enfant. Charge à l'adulte aussi de ne pas se laisser enfermer par l'enfant dans cette identité de parent.

Le parent éduque, aime, transmet parfois à son corps, à sa parole défendant. Il a pour rôle, il se donne pour rôle en voulant devenir père ou mère, d'apprendre aux enfants que devenir soi-même c'est apprendre à découvrir en soi une altérité qui peut échapper, qui n'est pas celle du parent (peut-être même que l'enjeu autant que la difficulté est de jouer en tant que parent l'équilibriste entre l'un et le multiple à cultiver chez l'enfant, entre dispersion et bloc monolithe). Cette altérité n'appartient qu'à l'enfant, elle relève d'une expérience de vie que le parent doit accompagner, guider en acceptant que son enfant n'ait pas forcément exactement le même référentiel que lui, que ce que son enfant vit peut lui être étranger. Cette altérité qu'il est passionnant de voir se développer (salutaire distanciation) est aussi là pour rappeler au parent sa propre aventure, pour lui rappeler qu'il ne faut pas transmettre ce qui l'a rendu malheureux dans sa propre construction. L'idée n'est pas bien sûr de dire que le parent maîtrise tout, à conscience de tout, que l'enfant n'a pas à apprendre à voir, à sentir, à respecter le "soi-même" des parents... L'idée est juste de rappeler l'inconfort certes, mais l'importance de la position du maître ignorant, qui peut être le meilleur exemple donné à l'enfant de ce "soi-même" qu'en tant que parent on continue de construire.

Le parent apprend (le parent et l'enfant sont deux "apprenants", parce que la naissance de l'enfant ne suffit pas à faire de soi un parent définitif, accompli et les problèmes viennent souvent de là, de ce refus de considérer que devenir parent, et non être parent, est une formation tout au long de la vie), il apprend donc aussi à devenir un parent en acceptant que son enfant arrive à prendre une distance que lui, l'enfant, n'a pu, su prendre et que l'éducation qu'il donne au fond autorise maintenant. Et cette propre réussite du parent qui devrait lui faire du bien, il arrive parfois que le parent lui-même ne parvienne pas à la reconnaître à sa juste valeur parce qu'il attend beaucoup de l'enfant, comme si l'enfant pouvait consoler ce qu'il y a d'inconsolable en son parent...

L'aventure d'être parent est puissante, parce qu'éduquer, c'est accepter que l'enfant dise au parent qu'il ne veut pas de ses névroses, de ses représentations trop angoissées, inquiètes ou sereines, de son rapport aux autres, à la réussite... qu'il désire se construire en équilibre autrement, avec ses angoisses à lui (et même si l'on trouve qu'elles ressemblent à celle du parent, il ne faut pas forcément trop le lui dire, ou le lui dire en précisant que l'héritage n'est pas toujours un bien...).

Les enfants ont ceci de bien : ils voient ce qui ne rend pas heureux leurs parents (après qu'en font-ils...?)
Les enfants ont aussi cet "agréable" défaut pour l'ego du parent de vouloir lui faire plaisir en lui faisant croire que ce qu'il prétend être lui-même n'est qu'une réponse à l'attente du parent.

Après, cette réponse donnée par l'enfant à l'attente est-elle un mot d'amour, un jeu, une manipulation, une façade, une transaction, un pansement...?

Éduquer a toujours à voir avec la faille du parent.

Et pour poser un "je" de fiction évidemment, toujours, puisque être parent relève d'une fiction que l'on tente de réaliser : je dirai qu'être au quotidien (d'enseignant ou de conducteur et d'observateur d'escrimeurs) en présence d'adolescents tous différents, protéiformes, mouvants et constants aussi jusque dans leurs méprises, m'aide à adopter comme je peux cette attitude du parent-maître ignorant avec mes ratés, évidemment.


N.B. : Je ne peux m'empêcher : penser à Rimbaud, sa mère, les Ardennes, Une Saison en enfer...

Nota Benêt... : Si une branche supplémentaire à mon multiple devait se former, il me plairait d'aller vers l'accompagnement personnel (et non technique...) d'ados compétiteurs. L'escrime est passionnante pour ça.

14/09/2011

Vaccin

Refaire encore et toujours l'expérience des mots de trop, des mots-sirènes nourris du cadavre échoué d'une syntaxe pompière.
Il y a eu, en passant une vitesse, de la première à la seconde (mais pourquoi dit-on seconde puisque l'on passe la troisième...?) si je me souviens bien, "se dénuder de l'attente" et deux jours plus tard, face à l'écran, il y a eu la tentation d'aller plus loin, de prolonger, d'en dire plus, quand les mots eux-mêmes, quand les mots survenus m'inventaient à ne pas le faire, à ne pas céder "au saturnisme de l'ombre".
Au final, en publiant, je savais qu'une heure plus tard, la prothèse maladroite me sauterait aux yeux.
Alors bien sûr, juste ceci :

Se dénuder de l'attente

06/09/2011

Se dénuder de l'attente pour se laver du saturnisme de l'ombre.

12/07/2011



Elle est là, vêtue de noir, un large bracelet orange autour du poignet. Elle s'est glissée jusqu'au clavier sans passer par le centre de la scène. Agnès Obel est ainsi. Discrète, arrivant sur scène comme pour ne pas déranger. A rougir presque de l'écoute qu'elle suscite, de la fragilité qu'elle donne à l'air qui l'entoure. Lundi, sa voix était un peu érayée, un éraillement surgi au réveil.
Durant une heure, Agnès Obel a porté des chansons en parure de bijoux discrets, intenses. Derrière le piano, Agnès Obel prend possession de l'espace en tirant les fils de mélodies serties qui ne permettent pas vraiment l'écart, la modulation par rapport à l'original de l'album. Les mains émergent des manches noires et se promènent d'accords en accords en phil-harmonie.
Ce concert a été une rencontre avec une personne, une très belle personne.

05/07/2011

Ahh, la Sanseverina !


Je relis peu, ou pour des raisons professionnelles. La Chartreuse de Parme fait partie des rares livres que j'ai lu trois fois, entre 18 et 22 ans. Pour Stendhal ? Pour ce Stendhal là, oui, celui qui regarde vers l'Italie, vers Rossini, pour le Stendhal de l'élan, de la logorrhée, pour le Stendhal du lien particulier de l'embrassement narquois et fasciné de ses personnages. La Chartreuse m'a effectivement fasciné pour ses glissements de voix, ses passages à la voix intérieure du monologue, de l'introspection en miroir du monde. La Chartreuse a compté avec discrétion et ce que j'appellerai gauchement de la légèreté, quand d'autres m'ont marqué avec trop de retentissements. Et mon passage à l'écriture romanesque s'est fait, je pense, sous l’œil silencieux et complice de ce Stendhal là. Le Stendhal des happy few que sont ses personnages.
Et puis je l'ai relu, vingt ans plus tard.
Vingt ans, ça calme. Enfin, ça décile. Ou plutôt ça... change, tout simplement. L'oeil grandit, vieillit sans doute, mais la Sanseverina, elle, pas une ride. Fabrice, lui, je l'ai perdu, dans cette voix étrange et presque déplacée qui l'a soudain rapproché de Julien Sorel qui m'a toujours laissé assez de glace. Avec sa Madame de Rénal aussi d'ailleurs (le Stendhal absolu, pour moi, n'est pas là)... A vingt ans d'intervalle, seule la Sanseverina a gardé son pouvoir qui, à vingt ans, était en fait déjà au coeur de cette attraction pour ce roman. Finalement, Fabrice n'y était pas pour beaucoup, pris dans cet écart entre l'idéal et le nombril, que je pouvais concevoir par une forme de désenchantement naïf et de repli, mais non pas éprouver par identification, tant, outre les morts bien sûr, il y a loin tout de même entre Napoléon et Mitterrand... peut-être le fantôme de la révolution, mais alors bien usé, élimé, épuisé par le réel et les discours (pour ma génération s'entend).
Enfin, faut-il le dire pour confirmer que vingt années ont passé, le Comte Mosca a pris cette quatrième fois sa place pleine et entière quand alors il n'avait été qu'une lumière seulement destinée à révéler la duchesse Sanseverina, l'héroïne, la femme.
La Chartreuse de Parme a ceci de puissant et de redoutable : Stendhal y développe dans une urgence de parole les voix d’adolescents (Clélia bien sûr qui toutefois n'a jamais pu prétendre, à la différence de Fabrice, rivaliser avec la Sanseverina), de femme, d'amant courtois un peu vieilli mais pas vieillot.
La Chartreuse est un continent (incontinent si l'on veut, tant logorrhée peut trouver sa périphrase en diarrhée verbale pour les anti-Stendhal). Il est mon continent dirons-nous alors, qui, réexploré, a pris un autre relief auquel je dois m'habituer sans le rayer de ma carte.



04/07/2011

Reprendre le fil

Les trames s'espacent, s'éliment, l'énergie de la reprise a su se faire attendre, mûrir, guetter.
Revenir au contact, dit-on, contact des mots. Ce qui à un moment donné le motive ?
Un incident ferroviaire, un article dans un journal, un chat trop longtemps exposé au soleil, une lumière que l'on a cherché longtemps pour un personnage et qu'un jour on reconnaît en longeant l'Atlantique sur les rails d'un déplacement. Lumière qui détronque celle, ancienne, que l'on a voulu forcer par un éclairage trop plein d'un autre personnage que l'on n'a pas su quitter, comme une vieille peau têtue, obstinée à ne pas se détacher.
Louise attend, derrière la vitre de son train à l'arrêt que je vienne dérouler l'histoire, la fiction, si chère fiction, cet à côté-dedans.
Reste à ne pas trouver le mirage à l'approche de l'oasis.
Reste à ne pas avoir peur de trouver le mirage à l'approche de l'oasis.
Reste à écrire.

10/01/2011

Marivaudage : "Propos de galanterie délicate et recherchée" (Diderot : "préciosité, recherche dans le style et dans les sentiments")

Galvaudage : "Action de galvauder" = galvauder : "mettre en désordre, gâter, gâcher" ou "compromettre par un mauvais usage"

Ces deux définitions extraites du Dictionnaire culturel montrent bien en quoi parler de marivaudage pour Marivaux équivaut à un galvaudage ; car si Diderot (meilleur lecteur habituellement) l'associe à la préciosité, il n'en reste pas moins que pour moi, réduire Marivaux à la galanterie c'est le gâter !
Retournant à son écriture par les Fausses confidences ou La Surprise de l'amour ou encore le Spectateur français, j'ai retrouvé en cet auteur un art du théâtre et une acide acuité du regard qui me fascine.
Retournez à ses pièces, et voyez comme le langage manipule, use de la vérité et du mensonge pour faire tomber les masques multiples dont on recouvre sa parole, ses gestes, son corps ; entendez comme le langage y est pointé, souligné, déjoué, dénoncé comme code vide ou tronqué ; observez comme le cheminement de l'aveu n'a rien de galant ou de précieux, de léger ou d'anodin, mais comme il engage toute la personne, comme il implique une révolution intérieure de l'individu qui se doit alors de changer de repère, de changer de langage.
Marivaux est un grand dramaturge du langage et du corps, des violences qu'ils nous imposent ou que nous leur imposons, tant sur le plan social que sur le plan sentimental. Marivaux n'est pas précieux, non, il a l'élégance du misanthrope (bien plus intéressante à mon goût que la misanthropie d'Alceste) qui n'en fait pas un drame, mais une comédie, qui n'en fait pas des diatribes, mais des jeux de décryptage passionnants et bien plus subversifs qu'un simple marivaudage de dictionnaire.
Marivaux est un prédateur de faux-semblants (entendez comme Dubois, double de Marivaux sans doute dans les Fausses confidences, fait de son stratagème une chasse à courre pour piéger Araminte) ; un braqueur de coffre-fort où presque chacun de ses personnages enferme le décryptage de ses langages (car nous savons nous en inventer de multiples...).

Marivaux a perçu comme la scène et son quatrième mur sont un révélateur, un détonateur.